L'abeille et l'eau
Sophie Gravier
Hier, j’ai sorti une abeille de l’eau. Elle se débattait en agitant ses ailes en pure perte. Elle semblait si faible, si appliquée dans son désir de vivre, tellement impuissante malgré toute sa science d’exploratrice, et si seule en dépit de cet admirable génie solidaire de travailleuse dévouée au grand œuvre de sa collectivité. J’ai trempé un bâton dans l’eau, elle s’y est accrochée, à bout de forces, et, quand je l’ai posée dans l’herbe, elle titubait encore, reprenant vie peu à peu, avant de poursuivre son vibrionnant butinage. Comment avait-elle bien pu tomber ici ? Etait-ce pour boire ? Avait-t-elle cru voir un nénuphar ? Voulait-elle se mirer dans le reflet de l’eau et se faire belle ?
Le lendemain, à la même place, j’ai revu le corps inerte d’une abeille flotter dans la même flaque. Etait-ce mon petit Narcisse suicidaire de la veille ? Ou une autre imprudente ? J’ai refait les mêmes gestes, mais j’arrivai trop tard. L’abeille était partie rejoindre son créateur. J’en ai été triste toute la journée. Triste à en avoir mal au ventre.
Je me sens si proche de ma petite abeille que des larmes coulent sur mes joues et tombent à terre. Poussée par le vent, l’une de mes larmes tombe dans la flaque d’eau, qui devient plus salée, plus parfumée, plus brillante au soleil. Et le reflet de l'eau ressemble à une fleur.